Il se dit beaucoup de faussetés sur le féminisme. L’une d’elles est qu’il a créé des femmes contrôlantes et castratrices. Si vous vivez au Québec, peut-être avez-vous déjà entendu parler des Germaine. Il s’agit d’un jeu de mots : dans la relation amoureuse, ce sont elles qui “gèrent” et qui “mènent”. Un auteur qui préfère garder l’anonymat, en dresse un portrait caricatural sur son blogue misogyne “Éviter les folles”. Mais il n’est pas nécessaire de lire de tels propos pour comprendre de quoi il s’agit. Nul ne peut nier que ce type de femme existe dans l’imaginaire collectif, on n’a qu’à penser au personnage de Line la pas fine de l’émission Les Invincibles. Il faut reconnaître aussi qu’il y a beaucoup d’hommes contrôlants et que d’importants facteurs psychologiques entrent en ligne de compte dans la dynamique du couple. L’objectif de cet article est de démontrer que la Germaine n’est pas le produit du féminisme, mais bien un phénomène qui prend racine dans la division sociale des sexes.
D’abord, la Germaine n’est pas apparue avec le féminisme. Au contraire, elle est indissociable du modèle traditionnel de relations homme-femme : le pourvoyeur et la maîtresse de maison. L’homme se développant principalement dans la sphère publique et la femme dans la sphère privée. L’homme ayant une vie professionnelle, parfois même des intérêts et des loisirs et la femme ayant comme principale préoccupation, le bien-être de son mari, de ses enfants et leurs besoins affectifs. La vie de l’un étant davantage en relation avec l’extérieur de la maison et celle de l’autre, tournée vers l’intérieur du foyer. Chacun exerçant plus de contrôle que l’autre dans le domaine qui lui est réservé. En découle une spécialisation dans les responsabilités et les tâches.
Si la femme traditionnelle est hyper investie dans le domaine affectif et domestique, l’homme traditionnel, en revanche, l’est beaucoup moins et peut être tenté de fuir, puisqu’il ne s’y sent pas en contrôle. Dans une scène de la télésérie Mad Men, Betty Draper organise une grande fête pour l’anniversaire de la petite Sally. Elle veille au bon déroulement de l’événement et s’assure que ses nombreux invités ne manquent de rien. Son mari, Don, en retrait, s’occupe en buvant. On lui assigne la tâche de filmer les enfants qui jouent au milieu de la pièce. Le fait qu’il soit derrière la caméra, symbolise la distance qu’il ressent par rapport à sa famille ; il semble étranger dans sa propre maison. Peu de temps après, il prend la voiture et disparaît sans dire un mot.
Aujourd’hui encore, dans les relations hétérosexuelles, certains hommes se sentent moins à l’aise que les femmes dans la sphère privée et ont tendance à s’effacer. Malgré tous les progrès réalisés, ils participent moins que leurs compagnes aux tâches ménagères et aux soins des enfants. Le nombre annuel d’heures d’absence du travail pour des raisons personnelles ou familiales est quatre fois plus élevé chez la femme que chez l’homme . Bien qu’elles aient une carrière, des intérêts et des loisirs, de nombreuses femmes placent encore leur partenaire et leurs enfants au centre de leur univers. D’autres, par contre, investissent la sphère domestique un peu par dépit, parce que leur partenaire ne le fait pas et que les obligations qui s’y rattachent doivent être remplies.
Dans un domaine où l’homme est peu présent, peut-on vraiment s’étonner que la femme exerce beaucoup de contrôle? Dans cet extrait vidéo des Invincibles, on voit Line la pas fine énoncer une série de règles qu’elle et ses amies ont inventées afin de restreindre la liberté de leurs partenaires au sein de la relation. Est-ce que ce jeu de domination laisse entrevoir un renversement de pouvoir dans la société? Un nouvel ordre politique féminin? Bien sûr que non. On pourrait plutôt conclure, au contraire, que les choses ne changent pas aussi rapidement qu’on le croit. En effet, ce que la femme domine, avant toute chose, c’est la sphère qui lui est traditionnellement réservée.
Il y avait des femmes fortes bien avant le féminisme, mais leur pouvoir sortait rarement des limites du privé. Lors d’une discussion au sujet des femmes des générations précédentes, une amie m’a rapporté un conseil plutôt éloquent donné par sa grand-mère : «Laisse ton mari faire “sa petite affaire”, pis t’auras la paix, ce sera toi le “boss” dans la maison». On peut voir dans l’expression «faire sa petite affaire», un désir de minimiser le pouvoir de l’homme ou de ridiculiser la sexualité masculine – un des piliers du patriarcat – en vue d’obtenir un sentiment de contrôle. Car même si le «devoir conjugal», tout comme le ménage lui étaient imposés par la société ; même si elle ne pouvait pas s’affirmer dans la sphère publique, la femme forte traditionnelle cherchait à s’accommoder de sa condition de dominée et à se sentir souveraine de son royaume.
Beaucoup critiquent le comportement des Germaine, mais peu s’attaquent au vrai noyau du problème. Certains, comme le psychologue essentialiste Yvon Dallaire, affirment que cette manie du contrôle vient d’une insécurité viscérale due à des fluctuations hormonales. D’autres antiféministes et masculinistes, voient, en la Germaine, une conséquence des excès du féminisme et cherchent à protéger leurs privilèges en défendant le statu quo. Je crois plutôt que la Germaine est la preuve vivante que le féminisme n’est pas encore allé assez loin. On ne peut espérer changer la situation sans prendre conscience de l’emprise qu’ont encore les modèles sexuels stéréotypés sur nos relations.
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